vendredi 20 juillet 2018

La danse Kagura dans les fêtes agraires au Japon - 神楽



Compte rendu d’expérience japonaise par Bruno Traversi






 









La danse Kagura Mai de UESHIBA Morihei (voir Takemusu Aiki) doit être classée parmi les danses Kagura 神楽 qui sont parmi les plus anciennes formes de danses du Japon. Les danses Kagura, à l’origine danses de type extatique, ont été codifiées pour devenir des danses rituelles. On se propose dans ce billet de rendre compte d’un rituel auquel nous avons pu assister, qui s’est déroulé le 14 juin 2018 au sanctuaire Sumiyoshi, puis d’évoquer le travail de recherche que nous effectuons sur la danse                                                                                                                          Kagura Mai de Ueshiba.




Danses rituelles


Il existe différents types de kagura : les kagura de cour ou encore les kagura populaires, exécutées dans les communautés locales, par les membres de celles-ci, notamment à l’occasion des rituels des fêtes du Nouvel An ou encore des festivités agraires. Les festivités impliquent la population dans des moments symboliques de repiquages de riz.




A l’origine le terme kagura désignait les danses extatiques spontanées qui se faisaient sous « l’emprise du kami » comme l’étymologie du mot l’indique. Le terme Kagura se compose, en effet, de deux kanji, kami et kura. Le premier, kami , peut signifier dieu, dieux, esprits, d'une manière générale toutes entités évoluant dans un plan autre que celui du monde des humains. Kura désigne une résidence temporaire. Ainsi, pendant le temps du kagura, le danseur est-il considéré comme étant la résidence du kami. L'état psychique qui caractérise les danses kagura originelles est un état de possession : « accroché » ou « saisi » par un dieu [kami-gakari, 神懸り], le danseur habité a l'impression de ne plus d'évoluer de sa propre initiative, mais d'être conduit, d'être animé, par une autre instance que le « moi ».

Le prototype des danses Kagura est , dans le Kojiki, la danse qu'effectue la divinité Ame-no-Uzume-no-mikoto [天宇受売命] dans le mythe dit de « la Porte de la Céleste Caverne de Roc » [Ame-no-iwayado, 天の石屋戸]. Ce mythe célèbre est un mythe du renouveau du monde.
Selon le Kojiki 古事記, devant l’assemblée des dieux, Uzume exécute une danse dans le but de faire sortir la déesse solaire Amaterasu [天照] de la caverne où elle s’est recluse, plongeant ainsi le monde dans les ténèbres. Ce mythe est donc un mythe de la fertilité et du renouveau du monde : en sortant de son antre, Amaterasu inonde le monde de sa lumière lui rendant sa vitalité. Ainsi, la danse se voit revêtue d’une qualité des plus sérieuses qui a trait au mouvement de la vie dans son déclin et sa résurgence.

La danse Kagura Mai de Ueshiba

La danse Kagura Mai qu’effectuait Ueshiba Morihei, comme finalité de son budo, est à mettre en relation avec sa pratique quotidienne de Chinkon Kishin 鎮魂帰神, méthode de transe qu’il avait apprise de Deguchi Onisaburo, le leader charismatique de l’Omoto-kyo – mouvement religieux syncrétique.  (Voir à ce sujet l’étude de Joffrey Chassat : Transe et gouvernement de soi et du monde selon Deguchi Onisaburo) Outre le terme de kagura dont nous avons présenté la signification, le nom de la danse de UESHIBA comporte également le terme « mai » . Ce terme désigne lui-même une forme de danse traditionnelle dont la dynamique circulaire nous est donnée par l'étymologie même du mot. Mai est, en effet, le substantif du verbe mau 舞うdont la traduction usuelle est « danser ». Toutefois, il désigne une danse spécifique que la traduction par le verbe ‘danser’ occulte. En japonais, en effet, mau se distingue d’autres verbes, tels que dansu ダンスou odoru 踊る que le français rend également par le verbe « danser ». Mau est d’un emploi très ancien puisqu’il apparaît en plusieurs occurrences dans le Kojiki. Étymologiquement, le terme mau provient du terme mawaru 回るsignifiant ‘tourner autour de’, et trouverait son origine en motohoru 廻るdont la forme substantivée, motohori 廻りsignifie ‘circonférence’. Ainsi, mau désigne la forme chorégraphique d’un acte de tournoiement autour d’un axe, d’un acte décrivant une circonvolution. Employé dans les offices religieux, le mai, la forme chorégraphique du cercle, aurait pour vertu d’« inviter les divinités » à se poser en un point symbolique situé au centre du cercle décrit par le ou les actants. Mai est ainsi tout à la fois, la danse qui invite et qui précède donc la descente du kami, et la danse qui procède de cette descente, c’est-à-dire de la possession divine elle-même.
 Selon Yanagita Kunio, certaines danses enfantines, telle que la ronde nommée Kagome-kagome, dérivent de ces danses extatiques : « Un groupe d’enfants se tenant par la main forme un cercle au centre duquel est placé un enfant les yeux bandés. Le groupe tourne dans le sens des aiguilles d’une montre autour de l’enfant en chantant une ritournelle lancinante. Le jeu consiste à ce qu’à la fin de la ritournelle, l’enfant dont les yeux sont cachés devine et prononce à haute voix le nom de la personne qui se trouve derrière elle. […] Dans un contexte religieux, ces mêmes mouvements et chants auraient eu pour fonction symbolique de questionner la volonté divine. » On peut ainsi dire que le mai comporte essentiellement l’idée de tournoiement, de circonvolution et que par cette forme chorégraphique du cercle, elle signifie proprement un rapport du centre à la périphérie, rapport directement lié à l'idée d'une régénération du monde. Les caractéristiques de la danse mai que nous venons de dégager se retrouvent dans la danse de Ueshiba. L’on peut ainsi rendre les termes « Kagura Mai » par « danse inspirée et circulaire ».
Résumons : la danse de Ueshiba se caractérise d'une part, par une transformation intérieure lors de laquelle le moi se trouve évacué et remplacé par une instance psychique plus haute (ou plus intérieure) et, d'autre part, par sa géométrie et sa dynamique circulaire.

Une étude phénoménologique de la danse Kagura de Ueshiba

C'est précisément ce rapport entre révolution intime et mouvements géométriques que nous étudions en atelier depuis 2006, selon une approche phénoménologie, notamment à partir des travaux de Carl Gustav Jung et de Wolfgang Pauli sur l’Inconscient collectif et les pratiques ascétiques extrême-orientales.
Notre approche ne consiste pas à reproduire la forme de la danse Kagura, mais à retrouver l’état de transe qui est son origine, et de décrire l’état modifié de conscience qui la caractérise – qui se manifeste corporellement.
Atelier sur les états modifiés de conscience dans la danse Kagura – Lille, 2015.

Nos travaux ont donné lieu à plusieurs publications dont





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire