mardi 15 mai 2018

Newsletter n°3 - Les deux âmes et les deux opposants

Newsletter Les mots de Ueshiba
Photo Ueshiba kotoba
Newsletter n°3 - mai 2018
Les deux âmes et les deux opposants
Ueshiba Morihei explique sa pratique en faisant systématiquement référence à l’âme corporelle [魄, haku] et à l’âme spirituelle [魂, kon]. Particulièrement, les rôles et la manière d’agir des deux pratiquants s’expliquent à partir de ces deux âmes. Il met au point son entrainement d’aiki [合気の稽古, aiki no keiko] et sa méthode de sabre [松竹梅の剣, shôchikubai no ken] en tenant compte des caractéristiques des deux âmes qui représentent selon lui deux façons d’animer le corps, et donc d’agir.
La distinction entre ces deux âmes n’appartient pas à Ueshiba, on la retrouve de longue date aussi bien dans le taoïsme, notamment chez Lu Tsou (auteur du Traité du Mystère de la Fleur d’or dont C.G. Jung a fait un commentaire éclairant), que dans le Shingon 真言 (l’une des deux écoles japonaises du bouddhisme ésotérique avec le Tendai).
L’âme corporelle [魄, haku] est l’âme sensitive qui se rapporte au monde à travers les cinq sens. Elle est l’âme réactive qui suit le cours des choses [物, mono] ; elle est mortelle, puisque soumise au temps. Grace à elle, l’individu entretient un rapport de causalité avec ce qui l’entoure et notamment avec autrui. A l’âme corporelle correspond le corps de chair [肉 体, nikutai]. Dans l’entraînement d’aikidô qu’instaure Ueshiba, l’attaquant incarne l’âme corporelle par sa manière d’agir (il regarde son adversaire, il est réactif, et agit sur autrui selon la relation de cause-effet).
L’âme spirituelle [魂, kon], au contraire, n’est pas soumise au temps, elle est immortelle (dans le système japonais de Ueshiba, comme dans le taoïsme). Elle n’est pas tournée vers le monde sensible, mais vers le centre unique, l’Un, personnifié par la divinité du centre Ame-no-mi-naka-nsuhi-no-kami 天之御中主 (voir la newsletter n°2). A l’âme spirituelle correspond le corps spirituel [霊身, reishin]. A travers elle, l’homme possède ainsi un rapport immédiat (en-deçà du rapport sensible et causal) avec ce qui l’entoure et notamment avec autrui. Lors de l’entraînement d’aikidô, c’est celui qui réalise les techniques qui doit incarner par son comportement l’âme spirituelle : il doit pour cela se détourner des choses sensibles [物 , mono], tourner son regard vers l’Un, [見返る, mikaeru], et devenir Ame-no-mi-naka-nushi (le Centre) : pour cela, il ne doit pas réagir, mais prendre constamment l’initiative en faisant preuve de spontanéité [shizen, 自然].
Dans son texte « Ma méthode de sabre de shōchikubai » (voir Le corps et le sabre selon Ueshiba Morihei), le fondateur de l’aikidô décrit l’affrontement martial des deux âmes : l’âme corporelle prenant l’aspect d’un fantôme blanc qu’il affronte (selon un processus d’extériorisation provoqué par l’ascèse) : ce récit permet de comprendre de quelle manière Ueshiba transcrit l’opposition entre les deux âmes à l’entrainement d’aikidô.
  
 
« Jusqu’à maintenant, c’était le monde de l’âme corporelle, mais dorénavant l’âme corporelle et l’âme spirituelle devront devenir une. Entre le monde de la matière et le monde de l’esprit il ne doit pas y avoir de prédominance. »
「今迄は魄(肉体的)物質の世界でありましたが、これから魂(精神的)と魄とが一つにならなければなりません。物質と精神との世界に長短があってはなりません。」
Ueshiba Morihei, Takemusu Aiki vol. 2, Éditions du Cénacle, p. 103.
 
La logique paradoxale de Maître Ueshiba
« Si les dix mille choses sont produites par la force de contraste des « deux origines », ces deux origines sont elles-mêmes les deux aspects de l'Origine unique. Les deux polarités entretiennent donc une double relation : elles se rencontrent, « échangent », d'une part, et sont « liées » entre elles « immédiatement », ne faisant qu'une, à travers leur origine commune, d'autre part.  Dualité et non-dualité sont affirmées selon différents niveaux de réalité qui ne cessent jamais de coexister, de sorte que les « échanges mutuel » constituent l’interaction d'une entité avec elle-même. Le modèle physique que développe ici UESHIBA doit se comprendre à l'aune de la théorie du bouddhisme Shingon 真言 qu’il a étudiée depuis son plus jeune âge. Se fondant sur les Sutras Dainichi-Kyō et Kongō-Kyō, le Shingon affirme que la totalité de ce que nous percevons dans le monde, la diversité des phénomènes ne sont que les apparences multiples d’une seule et même réalité, l’Un – personnifié par le bouddha universel Dainichi [大日, skt. Vairocana]. Toute la doctrine du Shingon peut ainsi se résumer dans cette formule : ninifuni [二而不二] littéralement « duel et non duel ». Pour passer de la théorie physique et métaphysique à la pratique corporelle, UESHIBA identifie l'âme corporelle et l'âme spirituelle aux deux éléments, eau et feu. Les deux âmes sont ainsi considérées comme des manifestations opposées de l'Origine unique.
Photo article
Ueshiba Morihei et Tamura Nobuyoshi
en 1955
D'une manière générale, toutes les formes de dualité sont pensées sur le modèle élémentaire de la relation de l'eau et du feu, notamment les deux âmes, mais aussi la relation entre les individus. Pour comprendre le point de vue de UESHIBA et par conséquent ses explications, il faut considérer qu'en aikidō, les deux adversaires (ou partenaires) se font face et pourtant sont un. Leurs échanges mutuels constituent un niveau de leur relation (le plus apparent) qui se fonde sur leur unité (qui n'est pas visible). Autrement dit, ils sont unis immédiatement par leur âme spirituelle [kon] appelée également « âme commune » et se rencontre à travers les sens, par le biais de leur âme corporelle [haku] respective. »
Bruno Traversi, L’éducation et l’art du sabre selon Ueshiba Morihei, Carnet 2 de Takemusu Aiki (avec une leçon de sabre donnée par Ueshiba en version bilingue), Éditions du Cénacle, p. 85.
 
Pour aller plus loin
 
Bruno Traversi (sous la direction de), Le corps et le sabre, Carnet 1 de Takemusu Aiki, Éditions du Cénacle, 2010.
Publication
Le corps et le sabre est un recueil d'articles sur la pensée de maître Ueshiba, autour de son texte inédit intitulé "Ma méthode de sabre Shôchikubai". Dans ce texte, Me Ueshiba présente l'expérience, spirituelle et martiale, grâce à laquelle il a fondé sa méthode de sabre, mis aussi son "nouvel aiki": Dans ce récit, il explique les origines, les finalités et les principes de son art. Le récit de Maître Ueshiba est donné dans son entièreté en japonais, traduit en français et assorti d'un commentaire et d'un lexique des termes japonais. Le volume comprend également un article fondamental sur les mandalas et les pratiques corporelles dans le bouddhisme ésotérique japonais, le Shingon, qu'a étudié Ueshiba Morihei. Pour les lecteurs désireux de connaitre les relations entre les techniques de Ueshiba et le bouddhisme et le shinto: une plongée dans l'univers du Maître de l'aikidô. Les auteurs qui ont contribué à cette étude sont universitaires et aïkidokas.
 
Événements à venir
 
Aikidô
temps et espace

Séminaire d’étude sur la pratique et les écrits de Morihei Ueshiba
selon W. Pauli et C.G. Jung
Du 12 au 15 juillet - Dojo brestois, 5, rue du Château, Brest
Comme chaque année, lors du séminaire de Brest, nous alternons études pratiques et études théoriques autour de Takemusu Aiki, le livre que le fondateur de l’aikidô a écrit à la fin de sa vie. Notre approche des textes de Ueshiba se fait à partir des études développées par W. Pauli, l’un des pères de la physique quantique, et de Carl Gustav Jung, le fondateur de la psychologie des profondeurs.
Le thème central de cette année 2018 sera le temps et l’espace. Comment Ueshiba conçoit-il le temps ? Et l’espace ? Pourquoi affirme-t-il que « dans l’aikidô, il n’y a ni temps ni espace » ? Quelles sont les expériences qui en témoignent ? Quels sont les états modifiés de conscience qui révèlent, selon lui, le monde intermédiaire dans lequel il n’y a ni temps ni espace ? Nous tenterons de répondre à ces questions par la pratique (travail sur les techniques et sur les transes), et par une étude précise des écrits de Ueshiba Morihei, de Deguchi Onisaburô, le dirigeant de l’Ômoto-kyô, et des explications scientifiques de Carl Gustav Jung et Wolfgang Pauli.
Le séminaire est animé par Bruno Traversi, 3e dan de l’Aikikai de Tokyo, chercheur au TEC de l’Université Paris V et par Joffrey Chassat, diplômé de l’Université de Lille3, spécialiste de l’Ômoto-kyô.

Newsletter d'information sur le vocabulaire de Ueshiba Morihei
par Joffrey Chassat et Bruno Traversi
(laboratoire TEC du STAPS Université Paris V Sorbonne)
contact : bruno.traversi@yahoo.fr

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